La Chine est-elle en train de perdre son statut d’usine du monde ?
Bien que l’Empire du Milieu accueille, encore aujourd’hui, une grosse part de la production mondiale dans de nombreuses industries, on commence à remarquer, sur certains secteurs, une tendance vraiment nouvelle, celle d’une délocalisation d'usine chinoises vers des pays à plus faibles coûts.
La raison ? Des frais de structure de plus en plus élevés, notamment les salaires qui observent une croissance annuelle soutenue, conséquence naturelle d’un pays en pleine croissance. La désindustrialisation de la Chine est-elle pour autant en marche ? La forte augmentation des salaires amorcée depuis quelques années va-t-elle inciter les multinationales à se tourner vers d'autres pays ?
L’augmentation des salaires et avec elle du pouvoir d’achat est particulièrement visible dans les zones urbaines où les gouvernements locaux n’hésitent pas à augmenter les salaires minimum de 20%. L'écart de revenus enre les villes et les zones rurales devient de plus en plus importante.
L’augmentation des salaires dans l’industrie manufacturière est due à plusieurs raisons. L’une des raisons de cette forte croissance est la pénurie de main d’œuvre dans certaines zones fortement industrialisées où les entreprises doivent lutter contre un phénomène récurrent : un turnover du personnel extrêmement élevé. Autre facteur, la pression sociale, comme en témoigne les nombreuses révoltes des employés ou les suicides à répétition… Rappelons-nous le cas Foxconn, l’un des principaux fournisseurs d'Apple qui a dû augmenter le niveau de salaire de ses ouvriers de 900 RMB à 2000 RMB en réponse à une série de 10 suicides très médiatisés. Sur la seule année 2009, Hewitt Associates LLC a avancé le chiffre de 8,4 % d’augmentation des salaires dans les multinationales implantées en Chine.
Cette hausse des salaires peut-elle mettre en danger la croissance chinoise ?
Il est évident que le Pékin cherche à être moins dépendant de ses exportations, développant, notamment depuis la crise de 2008, un marché local au séduisant potentiel. La Chine tente également d'amorcer un virage délicat qui lui permettra de passer à l'ère du teriaire, de la matière grise et de la valeur ajoutée.
Mais peut-on vraiment parler de désindustrialisation ? Je ne le pense pas car une désindustrialisation à court ou moyen terme aurait des conséquences dramatiques sur l’équilibre social, aujourd’hui fragile, du pays.
Selon une étude d'Accenture, l’augmentation des salaires et des frais de structure aura une conséquence sur les coûts, c’est une certitude et cette répercussion variera fortement selon les industries et les catégories de produits. Cependant, les spécialistes se veulent rassurants. L’impact de la hausse des salaires sur les coûts pourra être en grande partie compensée par une meilleure productivité et une meilleure maîtrise des processus Supply Chain. L’augmentation des prix devrait donc être relativement minime bien que, répétons-le, cela dépendra des industries et des catégories de produits. En revanche les marges des produits exportés devraient se réduire.
En résumé, la hausse des salaires en Chine va obliger les multinationales à réajuster leurs coûts globaux mais cela ne devrait pas changer à court ou moyen terme leur stratégie de production ou de sourcing en Chine. Certains pays asiatiques tels que la Malaisie, le Vietnam, l’Indonésie ou encore la Thaïlande peuvent aujourd’hui légitimement se positionner comme alternative au géant chinois, grâce à des coûts de main d’œuvre plus bas ou en croissance moins importante. Mais l’Empire du Milieu possède une longueur d’avance et des réserves d’intérêts non négligeables.
La Chine offre aujourd’hui un environnement et une culture manufacturière que les autres pays n’ont pas. Cette synergie au sein d’une même industrie est un atout important permettant aujourd'hui une optimisation de la Supply Chain. Autre ressource de poids, la Chine offre désomais des perspectives intéressantes grâce à un marché local florissant. Enfin, l'Empire du Milieu possède une réserve importante de main d'oeuvre bon marché dans les régions moins développées économiquement, notamment dans toutes les provinces non côtières. Pékin souhaite repousser les industries manufacturières vers l'intérieur et l'ouest du pays. Cette Chine à deux (voire plusieurs) vitesses pourra aussi permettre une désindustrialisation plus lente, par étape et donc plus digeste.
La désindustrialisation de la Chine n'est donc pas pour demain mais une première étape est déjà amorcée même si concentrée sur quelques rares industries.
Jérôme Berny