Le relationnel est en Chine un élément central de la réussite professionnelle. Afin de bien appréhender les subtilités de cette dimension humaine, il est important de comprendre l'influence de l'histoire récente du pays et notamment celle relative aux années maoïstes.
Pendant plusieurs décennies, la vie sociale chinoise fut dictée par le Parti et pour se protéger de cette omniprésence répressive et corrompue, le peuple essaya de se regrouper en cocons étroits ou en clans… il fallait s’allier pour mieux résister. Ces nouveaux types d’« amis » étaient précieux, non pas nécessairement par les sentiments qui les liaient entre eux, mais par l’intérêt mutuel que chacun y trouvait : on s’entraidait, on partageait, on prêtait, on troquait.
Il fallait se solidariser mais de manière prudente car certaines alliances pouvaient être fatales. Le péril planait, il pouvait venir de n’importe où, n’importe quand et je pourrais presque dire de n’importe qui.
Ces relations, basées sur des intérêts collectifs, vont évoluer après la Révolution Culturelle, qui finira en 1976 à la mort de Mao mais la base comportementale des rapports commerciaux en Chine sera fortement influencée par ces années de disette individualiste, au moment de l’ouverture de la Chine sur le monde, c’est-à-dire à partir des années quatre-vingt jusqu’à nos jours.
L’arrivée du communisme va provoquer une rupture assez importante dans la longue tradition confucéenne. Auparavant, les cercles relationnels étaient essentiellement bâtis autour de valeurs affectives. L’homme cherchait la protection à travers des liens très forts : la famille, les amis d’enfance, les voisins. Des valeurs telles que l’intégrité, la confiance, l’honnêteté constituaient la base fondatrice de ces réseaux humains. Ces cercles formaient comme un élément central vers lequel tous les éléments de la vie transitaient : les sentiments, l’éducation, le travail, le partage.
Le communisme a cherché à brouiller de tels repaires moraux. Le fait d’imposer au peuple chinois de nouveaux rapports mettant en avant, non plus la consanguinité mais le corporatisme et le collectivisme, a eu deux conséquences. La première a été le renforcement des liens préexistants entre les personnes de même cercle : notamment la famille. Dans une période de crises, d’aberration politique, de violences, de famines, les proches amis et les familles se sont inconsciemment solidarisés, je me laisserais même dire qu’elles se sont radicalisées. Ainsi, comme le confirme le sinologue Jean-Luc Domenach, « c’est face à une menace à la fois probable et indéfinie que se sont organisés les réseaux de protection mutuelle (famille, amis, collègues) qui ne pouvaient agir qu’en corrompant les cadres ».
Ce phénomène rejoint de nombreuses analyses qui affirment que l’égalitarisme maoïste n’a finalement fait que conforter et accentuer les inégalités déjà existantes. Certaines valeurs confucéennes ne pouvant en aucun cas s’exprimer publiquement, un durcissement intérieur, refoulé de ces vertus s’est alors développé ; comme cela se produit souvent avec les interdits. On ne change pas une culture en si peu de temps.
Vivre avec autrui, ne veut pas forcément dire l’apprécier, encore moins l’aimer. La solidarité de façade que préconisait Mao Zedong entre camarades ne pouvait remplacer la famille. Elle a cependant contribué à établir d’autres types de rapports. Un genre nouveau de cercles relationnels est apparu, moins profonds, moins solides mais plus larges. C’est la deuxième conséquence profonde de la voie politique sociale suivie par le pays à cette époque. De nouvelles relations se sont ainsi créées parallèlement à celles existantes, des relations fondées essentiellement sur des intérêts et non plus sur l’affectif, le sentimental. On ne se regroupait plus pour le plaisir du cœur mais pour se solidariser face à une menace pesante, celle du pouvoir, avec ses dénonciateurs, ses milices, son manque d’indulgence.
L'émergence du communisme en Chine a véritablement insufflé au monde chinois des affaires une de ses caractéristiques essentielles. Vous l’aurez compris, cette spécificité tourne autour de la prédominance des valeurs relationnelles. A la mort de Mao, Deng Xiaoping va décréter « l’ouverture ». En l’espace de deux décennies, les Chinois vont alors apprendre à (ré) exploiter l’une des nombreuses valeurs qu’avait tenté d’annihiler la Grand Timonier : l’individualisme. Une Chine à deux vitesses va alors se développer. Les campagnes vont se cramponner à un archaïsme agraire évident avec pour seule consolation les souvenirs nostalgiques de l’époque maoïste. Les villes vont quant à elles tenter une percée économique sans précédent, certaines d’entre elles arrivant à des résultats inconcevables il y a vingt ans. Nous passons de l’histoire au présent avec toujours la même rapidité dans le changement des idéaux… une série de ruptures bien violentes, bien difficile à assimiler pour une seule génération !