La Chine a connu deux guerres de l’Opium : la première contre l’Angleterre seule (de 1839 à 1842) et la seconde contre le même adversaire associé à la France (de 1858 à 1860). A la suite de ces guerres sera signé une série de traités particulièrement contraignants et humiliants pour la Chine, dont le traité de Nankin, celui de Tianjin ou encore celui de Pékin.
Les Guerres de l’Opium puisent leur origine dans… le thé. C’est à partir du début du XVIIIème siècle, que les Anglais ont vu leurs importations de thé chinois exploser, passant de quelques 12’000 tonnes vers 1720 à plus de 360’000 tonnes en 1830. Ces derniers chiffres, révélateurs de l’explosion de la demande britannique, ne sont pourtant qu’une estimation, le commerce illégal étant alors majoritaire, tant les taxes à l’importation sur le territoire anglais étaient élevées. Ce commerce prolifique se heurtait toutefois à d’importantes restrictions. L’achat du thé ne pouvait se faire qu’à travers quelques petits comptoirs dans la province actuelle du Guangdong où les négociants étrangers, essentiellement britanniques, n’étaient en relation d’affaires qu’avec la seule et puissante Corporation des Marchands Chinois. Cette dernière imposait d’être rétribuée en piastres d’argent, ce qui bien évidemment n’arrangeait pas les acheteurs. Comment dès lors payer ce thé si prisé outre-Manche sans provoquer un effondrement de la balance commerciale du pays ? Et comment transporter physiquement, en toute sécurité, de telles quantités d’argent jusqu’en Chine ?
La Compagnie Britannique des Indes Orientales trouva alors la solution : développer la culture du pavot aux Indes et initier les Chinois à la consommation de l’Opium pour pouvoir utiliser cette drogue comme monnaie d’échange. L’Opium se répandit alors en Chine à partir de 1720 et, malgré son interdiction par l’Empereur dès 1729, imprégna très vite toutes les couches de la société. Le commerce illégal d’Opium se développa ainsi pour atteindre plus de 2'500 tonnes en 1830.
Il n’en fallut pas plus à la Grande-Bretagne pour déclarer et légitimer une guerre depuis longtemps souhaitée afin de faire tomber les barrières d’un commerce porteur : celui du thé. Cette première guerre de l’Opium se termina avec la capitulation de l’Empereur Tao-Kuang et la signature du traité de Nankin, le 29 août 1842. Ce premier volet d’une série de « traités inégaux » entraînera une modification profonde des relations entre l’Empire chinois et le monde occidental.
Le traité de Nankin prévoyait notamment la cession de l’îlot de Hong Kong aux Anglais, ainsi que l’ouverture de cinq ports au commerce international : Canton, Shanghai, Ningbo, Amoy et Fuzhou, où les occidentaux bénéficiaient d’un droit d’extraterritorialité. Ce droit, comble de l’humiliation pour le peuple chinois, leur permettait de s’affranchir des lois locales. Bien entendu, l’obligation pour les négociants étrangers de passer par des intermédiaires établis fut abolie et les droits de douanes furent réduits de plus de moitié. Enfin l’Empereur se vit dans l’obligation de payer 21 millions de dollars d’indemnités aux Britanniques.
A cette époque, les puissances occidentales souffraient d’un déficit abyssal de leur balance commerciale et une ouverture plus incisive du marché chinois ne pouvait que leur être salutaire. Dès 1854, Anglais, Français et Américains demandèrent une révision des conditions d’ouverture issues du traité de Nankin. Leurs revendications portaient sur un élargissement des zones commerciales et une légalisation totale du commerce de l’Opium qui était toujours considéré comme illégal. Face au refus de la cour impériale de céder à leurs demandes, l’Angleterre et la France, avec le soutien des Etats-Unis et de la Russie, engagèrent une nouvelle guerre en 1856, sous prétexte alors de protéger leurs commerçants et de faire appliquer le traité de Nankin.
Cette seconde guerre de l’Opium accoucha d’un premier traité, celui de Tianjin, en juin 1858. Ce dernier entraîna l’ouverture au commerce international de dix ports supplémentaires, autorisa les étrangers à voyager dans les régions intérieures et ouvrit Pékin à l’établissement de missions diplomatiques anglaise, française, américaine et russe. Quelques mois plus tard, les occidentaux obtinrent du gouvernement central une légalisation du commerce de l’Opium qui aura des conséquences sociales dramatiques. Dès 1878, le nombre d’opiomanes chinois atteint 100 millions ! Le droit d’extraterritorialité fut renforcé pour les Occidentaux qui commencèrent à développer leur « concession », comme à Shanghai. Dans le même temps, en mai 1858, par le traité d’Aigun, la Russie obtint une révision de ses frontières avec la Chine.
Face à la lenteur et à la mauvaise volonté affichées par le gouvernement chinois pour mettre en place ces nouvelles contraintes, Français et Britanniques lancèrent une attaque directement sur Pékin, où ils brûlèrent l’un des symboles de l’Empire du Milieu : le Palais d’Eté, où s’était réfugié l’Empereur Xianfeng. Cet acte de barbarie toucha encore plus le peuple chinois dans sa fierté… l’humiliation fut totale.
Cette seconde Guerre de l’Opium prendra fin avec la signature du traité de Pékin en 1860. Ce fut au tour de Tianjin, le port de Pékin, de s’ouvrir au commerce étranger. Les vaincus cédèrent le district de Kowloon aux Anglais. Les Français, quant à eux obtinrent un droit pour leurs missionnaires catholiques d’acheter des terres et de construire des églises, privilège qui s’accompagna bien entendu de l’acquisition d’une liberté de culte. Les Occidentaux obtinrent également le droit d’exporter de la main d’œuvre chinoise, notamment aux Amériques. Vinrent s’ajouter à cela un droit de libre circulation des navires occidentaux et de fortes indemnités financières.
Ces séries de mesures imposées par les occidentaux s’autorisant une insolente liberté sur le territoire chinois, sont souvent, encore aujourd’hui, qualifiées d’humiliantes pour les vaincus. Elles auront d’énormes conséquences sur les relations qui lieront les chinois aux étrangers. Mais plus qu’un sentiment de rancoeur et d’outrage, c’est davantage une vive méfiance refoulée dont va s’imprégner le peuple chinois. Les « Barbares d’Occident », aux mœurs malsaines, seront désormais considérés comme une menace certaine pour le bien-être social et l’harmonie nationale. Les deux Guerres de l’Opium et les traités qui en sont issus mettent en lumière toute la perversité du Démon anglais et de ses alliés. Ce dérèglement des mœurs s’est pleinement matérialisé à travers le commerce de la drogue : les occidentaux ont d’abord introduit l’Opium en Chine pour leurs propres intérêts commerciaux, ce qui a eu pour conséquence d’affaiblir le peuple en le détournant de la raison, de la réalité. Une lettre adressée à l’Empereur de l’époque annonçait : « Depuis que l’Empire existe, il n’a jamais couru un tel danger. Ce poison débilite notre peuple, dessèche nos os ; ce vers ronge notre cœur, ruine nos familles ». La morale sociale, si chère au Confucianisme, était ainsi mise à mal, pervertie. Ensuite, ils ont imposé par la force cet expédient, tout en s’octroyant d’insultants privilèges sur un territoire qui ne leur appartenait pas. Le vice, l’arrogance et l’autoritarisme seront dès lors les principales contre-valeurs auxquelles les « peuples blancs » seront associés.
Ce fort sentiment anti-occidental sera ensuite exploité par Mao Zedong pour attiser le nationalisme, valeur indispensable à une solidarité de masse. Dans son fameux Petit Livre Rouge, de nombreuses citations apparaissent à l’encontre de « l’impérialisme américain et ses laquais » qui « commettent tous les méfaits possibles ». Ces mises en garde conforteront le peuple chinois dans une méfiance aiguë envers tout ce qui vient d’Occident.
Même si cette rancune envers les Occidentaux s’est fortement atténuée aujourd’hui, il en reste pourtant quelques signes, peu visibles mais bien présents. Les mœurs étrangères, en règle générale, sont encore souvent considérées avec suspicion, car potentiellement nuisibles, voire malsaines. Il en est ainsi de certaines religions ou croyances, des pratiques matrimoniales, de la liberté sexuelle, de certains aspects de l’émancipation des femmes, des maladies, etc.
Jusqu’à récemment encore, le SIDA était considéré par la population chinoise comme une maladie d’occidentaux, conséquence évidente d’un libertinage incontrôlé et d’un assouvissement animal de pulsions physiques. Il m’est arrivé d’entendre un directeur chinois conseiller à l’une de ses employées d’arrêter sa fréquentation avec un professeur européen, en prenant pour seul argument le « risque d’attraper le SIDA ». Je me souviens également de ce jeune Australien escorté jusqu’à la frontière pour avoir été dépisté positivement au VIH lors de la visite médicale nécessaire à l’obtention d’un visa de longue durée, c’était en 2001.
La situation se résume bien dans la bouche de ce patient, Wang Gongli, qui a contracté le virus suite à un problème de sang contaminé, en 1993: « Quand j’ai appris que j’étais séropositif, je n’arrivais pas à y croire. Je pensais que cela était possible seulement aux Etats-Unis ou en Europe mais qu’en Chine, c’était peu probable… ».
Ce n’est qu’à partir de fin 2003 que la Chine a abordé publiquement le problème de cette maladie. C’est notamment suite à l’épidémie du SRAS que le pays s’est contraint à revoir toute sa stratégie en matière de santé publique. Jusque là, le sujet était tabou, bien gardé par les autorités de Pékin qui ne voulaient pas admettre certaines dérives relatives au commerce du sang ou certaines pratiques contraires à la morale publique.
L’homosexualité a elle aussi, jusqu’à récemment encore, été considérée comme une perversion venue d’Occident. Le modèle confucéen attribue à chaque homme la vocation à fonder une famille et à assurer une descendance afin de préserver sa lignée. C’est ainsi que se perpétue le culte de l’ancêtre. Il serait faux d’affirmer que cette tendance n’a jamais existé en Chine ancienne, certaines anecdotes impliquant des Empereurs et leurs favoris sont là pour nous le rappeler. Les amants étaient généralement des personnages mariés, ayant une descendance. Ce n’est qu’au début du XXème siècle que le concept d’homosexualité exclusive est apparu en Chine.
Fortement traquée durant le règne de Mao Zedong, l’homosexualité a pendant longtemps été considérée comme une maladie mentale, et comme un anticonformisme dangereux et déstabilisant. Les premiers gouvernements communistes ont entretenu l’illusion d’un déséquilibre venu d’ailleurs, notamment d’Occident où la liberté sexuelle florissante était perçue comme une maladie gangréneuse pour la société.
Il m’est ainsi souvent arrivé d’entendre des étudiants adolescents et adultes me demander pourquoi il y avait autant de gays en Europe, tout en me certifiant que le phénomène n’existait pas en Chine. C’est l’occidentalisation de l’Empire du Milieu qui selon certains entraîne le peuple chinois dans ce genre de conduite. « Depuis que les jeunes ont un accès virtuel au monde américain, ils essaient de les copier. C’est flagrant quand tu sors en boîte. Les femmes s’habillent de manière sexy, fument, boivent. Les hommes eux, de plus en plus se droguent, les gays se montrent… si je disais cela à mes parents, ils ne me croiraient pas ! ». C’est un dénommé David Hu, étudiant en commerce à Canton que j’avais rencontré dans un train qui, dans un parfait anglais, m’a rapporté ces propos, en juillet 2008.
Les guerres de l’Opium ont contribué à renforcer la vision d’un Occident immoral, injuste et nuisible. Elles n’en sont certes pas la seule origine mais y ont solidement pris part. Ce sentiment a ensuite été attisé par le Parti Communiste qui y voyait là une bonne base de contre-exemple lui permettant d’argumenter la primauté du concept d’unité nationale. Les choses ont beaucoup évolué ces dix dernières années. Les jeunes sont beaucoup plus tolérants envers ce que leurs parents pourraient considérer comme indécent et envers tout ce qui peut « venir d’ailleurs ».
Il est cependant préférable, si vous êtes en Chine, de ne pas revendiquer ouvertement certains aspects de votre vie qui pourraient choquer vos interlocuteurs, comme par exemple le fait d’avoir déjà fumé de l’herbe ou d’en être à votre troisième mariage. Cela risquerait de confirmer chez un public chinois peu ouvert, sa méfiance enfouie de l’Etranger. Marquer sa différence n’est pas forcément la meilleure stratégie, mieux vaut chercher la ressemblance, la mise en parallèle de valeurs communes, plus rassurantes.
Le sentiment anti-occidental qui s’est installé au XIXème siècle en Chine s’est accompagné d’une importante perte de confiance du peuple envers les instances gouvernantes de l’époque, incapables de défendre les intérêts des citoyens. Face à ce sentiment d’humiliation et d’abandon par ses politiques, beaucoup de Chinois ont alors intégré des mouvements contestataires, amorçant ainsi un retour à une juxtaposition d’organisations claniques. Ces mouvements idéologiques et solidaires de l’après guerre de l’Opium se sont fortement développés pour devenir de plus en plus puissants. C’est dans ce contexte économique et social en étiolement, où brigands, vagabonds, paysans dépossédés proliférèrent en même temps que la famine, que vont se multiplier des groupes dissidents aux confins des provinces.
L’exemple le plus probant reste encore l’insurrection Taiping, considérée comme l’une des plus grandes révoltes paysannes de l’histoire de l’Empire du Milieu. De 1850 à 1864 ce mouvement sectaire, d’influence chrétienne, fera jusqu’à vingt millions de victimes, et réussira à régner localement pendant près de 10 ans, en formant un territoire dissident dans le Sud de la Chine. Nankin en sera leur capitale à partir de 1853. Les Taiping, emmenés par leur charismatique leader Hong Xiuquan, seront finalement matés par les troupes occidentales (américaines et européennes) venues non pas défendre la dynastie mandchoue mais protéger leurs intérêts commerciaux dans la région.
Le foisonnement de telles organisations dissidentes, très présentes dans le sud de la Chine, va diviser le peuple qui (re)commencera à s’organiser selon le principe d’une juxtaposition de systèmes claniques. Ce retour des valeurs de confraternité au détriment d’une autorité nationale en perte de crédibilité, ne protégeant plus les intérêts du peuple, n’est-elle pas finalement un retour aux sources du confucianisme ? Pour Confucius, le gouvernement doit agir pour le bien du peuple, de manière intègre et désintéressée. Tout manquement à ce devoir entraîne inévitablement une désunion du peuple. Ce dernier préférera retourner à des valeurs plus rassurantes, plus crédibles, à travers des cercles de confiance constitués par la famille, par les amis, par les corps de métiers, etc.
Extrait du livre "Réussir en Chine grâce aux cercles d'amis"
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